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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

tainement beaucoup aux revers que les troupes de Bonaparte ont éprouvés dans la retraite de Russie. Mais c’est le froid, ce froid de l’enfer, tel qu’il est peint dans le Dante, qui pouvoit seul anéantir l’armée de Xerxès.

Nous qui avons le cœur françois, nous nous étions cependant habitués, pendant les quinze années de la tyrannie de Napoléon, à considérer ses armées par delà le Rhin comme ne tenant plus à la France ; elles ne défendoient plus les intérêts de la nation, elles ne servoient que l’ambition d’un seul homme ; il n’y avoit rien en cela qui pût réveiller l’amour de la patrie ; et, loin de souhaiter alors le triomphe de ces troupes, étrangères en grande partie, on pouvoit considérer leurs défaites comme un bonheur même pour la France. D’ailleurs, plus on aime la liberté dans son pays, plus il est impossible de se réjouir des victoires dont l’oppression des autres peuples doit être le résultat. Mais, qui pourroit entendre néanmoins le récit des maux qui ont accablé les François dans la guerre de Russie, sans en avoir le cœur déchiré ?

Incroyable homme ! il a vu des souffrances dont on ne peut aborder la pensée ; il a su que les grenadiers françois, dont l’Europe ne parle