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CONSIDÉRATIONS

en visitant la maison d’un ambassadeur ; et, comme ils ne savoient pas trop bien la géographie, je leur persuadai que la Suède étoit une puissance qui pouvoit les menacer d’une attaque immédiate, parce qu’elle étoit frontière de la France. Vingt ans après, chose inouïe, cela s’est trouvé vrai ; car Lubeck et la Poméranie suédoise étoient au pouvoir des François.

Les gens du peuple sont prenables tout de suite ou jamais : il n’y a presque point de gradations ni dans leurs sentimens, ni dans leurs idées. Je m’aperçus donc que mes raisonnemens leur faisoient impression, et j’eus le courage, avec la mort dans le cœur, de leur faire des plaisanteries sur l’injustice de leurs soupçons. Rien n’est plus agréable aux hommes de cette classe que des plaisanteries ; car, dans l’excès de leur fureur contre les nobles, ils ont du plaisir à être traités par eux comme des égaux. Je les reconduisis ainsi jusqu’à la porte, et je bénis Dieu de la force extraordinaire qu’il m’avoit prêtée dans cet instant ; néanmoins cette situation ne pouvoit se prolonger, et le moindre hasard suffisoit pour perdre un proscrit qui étoit très-connu par son ministère récent.