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CORINNE OU L’ITALIE

l’histoire, les réflexions qu’elle excite, agissent bien moins sur notre ame que ces pierres en désordre, que ces ruines mêlées aux habitations nouvelles. Les jeux sont tout-puissans sur l’ame ; après avoir vu les ruines romaines on croit aux antiques Romains, comme si l’on avait vécu de leurs temps. Les souvenirs de l’esprit sont acquis par l’étude. Les souvenirs de l’imagination naissent d’une impression plus immédiate et plus intime qui donne de la vie à la pensée, et nous rend pour ainsi dire, témoins de ce que nous avons appris. Sans doute on est importuné de tous ces bâtimens modernes qui viennent se mêler aux antiques débris. Mais un portique debout à côté d’un humble toit ; mais des colonnes entre lesquelles de petites fenêtres d’églises sont pratiquées, un tombeau servant d’asile à toute une famille rustique, produisent je ne sais quel mélange d’idées grandes et simples, je ne sais quel plaisir de découverte qui inspire un intérêt continuel. Tout est commun, tout est prosaïque dans l’extérieur de la plupart de nos villes européennes, et Rome, plus souvent qu’aucune autre, présente le triste aspect de la misère et de la dégradation ; mais tout à coup une colonne brisée, un bas-relief à demi détruit, des pierres liées à la façon indestructible des architectes