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CORINNE OU L’ITALIE

mois tout apprendre et tout concevoir. Il en est de même des femmes ; pourquoi s’instruiraient-elles, puisque la plupart des hommes ne les entendraient pas ? Elles isoleraient leur cœur en cultivant leur esprit ; mais ces mêmes femmes deviendraient bien vite dignes d’un homme supérieur, si cet homme supérieur était l’objet de leur tendresse. Tout dort ici ; mais dans un pays où les grands intérêts sont assoupis, le repos et l’insouciance sont plus nobles qu’une vaine agitation pour les petites choses.

Les lettres elles-mêmes languissent là où les pensées ne se renouvellent point par l’action forte et variée de la vie. Mais dans quel pays cependant a-t-on jamais témoigné plus qu’en Italie de l’admiration pour la littérature et les beaux-arts ? L’histoire nous apprend que les papes, les princes et les peuples ont rendu dans tous les temps aux peintres, aux poëtes, aux écrivains distingués, les hommages les plus éclatans[1]. Cet enthousiasme pour le talent est, je l’avouerai, Mylord, un des premiers motifs qui m’attachent à ce pays. On n’y trouve point l’imagination blasée, l’esprit décourageant, ni la médiocrité despotique, qui savent si bien ailleurs tourmenter où étouffer le génie naturel. Une idée, un sentiment, une expression heureuse prennent feu pour ainsi dire parmi les auditeurs. Le talent, par cela

  1. M. Roscoe, auteur de l’Histoire des Médicis, a fait paraître plus nouvellement, en Angleterre, une histoire de Léon X, qui est un véritable chef-d’œuvre en ce genre, et il y raconte toutes les marques d’estime et d’admiration que les princes et le peuple d’Italie ont données aux hommes de lettres distingués ; il montre aussi avec impartialité qu’un grand nombre de papes ont eu, à cet égard, une conduite très-libérale.