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CORINNE OU L’ITALIE

C’est un sujet italien que Roméo et Juliette ; la scène se passe à Vérone ; on y montre encore le tombeau de ces deux amans. Shakespeare a écrit cette pièce avec cette imagination du midi tout à la fois si passionnée et si riante, cette imagination qui triomphe dans le bonheur, et passe si facilement, néanmoins, de ce bonheur au désespoir, et du désespoir à la mort. Tout y est rapide dans les impressions, et l’on sent cependant que ces impressions rapides seront ineffaçables. C’est la force de la nature, et non la frivolité du cœur qui, sous un climat énergique, hâte le développement des passions. Le sol n’est point léger, quoique la végétation soit prompte ; et Shakespeare, mieux qu’aucun écrivain étranger, a saisi le caractère national de l’Italie et cette fécondité d’esprit qui invente mille manières pour varier l’expression des mêmes sentimens, cette éloquence orientale qui se sert des images de toute la nature pour peindre ce qui se passe dans le cœur. Ce n’est pas, comme dans l’Ossian, une même teinte, un même son qui répond constamment à la corde la plus sensible du cœur ; mais les couleurs multipliées que Shakespeare emploie dans Roméo et Juliette ne donnent point à son style une froide affectation, c’est le rayon divisé, réfléchi,