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CORINNE OU L’ITALIE

les vers des plus grands poëtes pour parler elle-même selon son cœur ; peut-être même qu’un sentiment invincible de timidité eût enchaîné son talent, elle n’eût pas osé regarder Oswald, de peur de se trahir, enfin la vérité portée jusqu’à ce point aurait détruit le prestige de l’art ; mais qu’il était doux de savoir là celui qu’elle aimait, quand elle éprouvait ce mouvement d’exaltation que la poésie seule peut donner ! quand elle ressentait tout le charme des émotions sans en avoir le trouble ni le déchirement réel ! quand les affections qu’elle exprimait n’avaient à la fois rien de personnel ni d’abstrait, et qu’elle semblait dire à lord Nelvil : — Voyez, comme je suis capable d’aimer ! —

Il est impossible que dans sa propre situation on puisse être contente de soi, la passion et la timidité tour à tour entraînent ou retiennent, inspirent trop d’amertume ou trop de soumission : mais se montrer parfaite sans qu’il y ait de l’affectation ; unir le calme à la sensibilité, quand trop souvent elle l’ôte ; enfin exister pour un moment dans les plus doux rêves du cœur, telle était la jouissance pure de Corinne en jouant la tragédie. Elle joignait à ce plaisir celui de tous les succès, de tous les applaudissemens qu’elle obtenait, et son regard les mettait aux pieds d’Os-