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CORINNE OU L’ITALIE

ame s’est attachée à ce tableau, mais vous auriez pu le voir, sans en deviner le sujet. Et cette incertitude, qui existe presque toujours dans les tableaux historiques, ne mêle-t-elle pas le tourment d’une énigme aux jouissances des beaux-arts qui doivent être si faciles et si claires ?

J’ai choisi ce sujet, parce qu’il rappelle la plus terrible action que l’amour de la patrie ait inspirée. Le pendant de ce tableau, c’est Marius épargné par le Cimbre, qui ne peut se résoudre à tuer ce grand homme : la figure de Marius est imposante ; le costume du Cimbre, l’expression de sa physionomie est très-pittoresque. C’est la deuxième époque de Rome, lorsque les lois n’existaient plus, mais quand le génie exerçait encore un grand empire sur les circonstances. Vient ensuite celle où les talens et la gloire n’attiraient que le malheur et l’insulte. Le troisième tableau que voici représente Bélisaire portant sur ses épaules son jeune guide mort en demandant l’aumône pour lui. Bélisaire aveugle et mendiant est ainsi récompensé par son maître ; et dans l’univers qu’il a conquis, il n’a plus d’autre emploi que de porter dans la tombe les tristes restes du pauvre enfant qui seul ne l’avait point abandonné. Cette figure de Bélisaire est admirable, et depuis les peintres an-