Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome I, 1807.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
346
CORINNE OU L’ITALIE

mots et les dragées dont on inonde indistinctement les voitures qui passent, confondent tous les êtres mortels ensemble, remettent la nation pêle-mêle, comme s’il n’y avait plus d’ordre social.

Corinne et lord Nelvil, tous les deux rêveurs et pensifs, arrivèrent au milieu de ce tumulte. Ils en furent d’abord étourdis ; car rien ne paraît plus singulier que cette activité des plaisirs bruyans, quand l’ame est tout entière recueillie en elle-même. Ils s’arrêtèrent à la place du Peuple, pour monter sur l’amphithéâtre près de l’obélisque, d’où l’on voit la course des chevaux. Au moment où ils descendirent de leur calèche, le comte d’Erfeuil les aperçut, et prit à part Oswald pour lui parler.

— Ce n’est pas bien, lui dit-il, de vous montrer ainsi publiquement, arrivant seul de la campagne avec Corinne : vous la compromettrez ; et qu’en ferez-vous après ? — Je ne crois pas, répondit lord Nelvil, que je compromette Corinne, en montrant l’attachement qu’elle m’inspire. Mais si cela était vrai, je serais trop heureux que le dévouement de ma vie… — Ah ! pour heureux, interrompit le comte d’Erfeuil, je n’en crois rien ; on n’est heureux que par ce qui est convenable. La société a, quoi qu’on