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CORINNE OU L’ITALIE

bonheur si grand : ainsi le rayon d’une autre vie consumerait l’être mortel qui voudrait le considérer fixement.

La justesse admirable de deux voix parfaitement d’accord produit, dans les duo des grands maîtres d’Italie, un attendrissement délicieux, mais qui ne pourrait se prolonger sans une sorte de douleur : c’est un bien-être trop grand pour la nature humaine, et l’ame vibre alors comme un instrument à l’unisson que briserait une harmonie trop parfaite. Oswald était resté obstinément loin de Corinne pendant la première partie du concert ; mais lorsque le duo commença, presqu’à demi-voix, accompagné par les instrumens à vent qui faisaient entendre doucement des sons plus purs encore que la voix même, Corinne couvrit son visage de son mouchoir, et son émotion l’absorbait tout entière ; elle pleurait sans souffrir, elle aimait sans rien craindre. Sans doute l’image d’Oswald était présente à son cœur ; mais l’enthousiasme le plus noble se mêlait à cette image, et des pensées confuses erraient en foule dans son ame : il eût fallu borner ces pensées pour les rendre distinctes. On dit qu’un prophète, en une minute, parcourut sept régions différentes des cieux. Celui qui conçut ainsi tout ce qu’un instant