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CORINNE OU L’ITALIE

l’ôtent et le remettent avec une rapidité inconcevable. L’un d’eux s’en prenait à Voltaire, et surtout à Rousseau, de l’irréligion du siècle. Il jetait son bonnet au milieu de la chaire, le chargeait de représenter Jean Jacques, et en cette qualité il le haranguait, et lui disait : hé bien, philosophe génevois, qu’avez-vous à objecter à mes argumens ? — Il se taisait alors quelques momens, comme pour attendre la réponse ; et le bonnet ne répondant rien il le remettait sur sa tête, et terminait l’entretien par ces mots : À présent que vous êtes convaincu n’en parlons plus.

Ces scènes bizarres se renouvellent souvent parmi les prédicateurs à Rome, car le véritable talent en ce genre y est très-rare. La religion est respectée en Italie comme une loi toute puissante ; elle captive l’imagination par les pratiques et les cérémonies ; mais on s’y occupe beaucoup moins en chaire de la morale que du dogme, et l’on n’y pénètre point par les idées religieuses dans le fond du cœur humain. L’éloquence de la chaire ainsi que beaucoup d’autres branches de la littérature, est donc absolument livrée aux idées communes qui ne peignent rien, qui n’expriment rien. Une pensée nouvelle causerait presque une sorte de rumeur