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CORINNE OU L’ITALIE

ver alors un enthousiasme surnaturel, et je sens bien que ce qui parle en moi vaut mieux que moi-même ; souvent il m’arrive de quitter le rhythme de la poésie et d’exprimer ma pensée en prose, quelquefois je cite les plus beaux vers des diverses langues qui me sont connues. Ils sont à moi, ces vers divins, dont mon ame s’est pénétrée. Quelquefois aussi j’achève sur ma lyre, par des accords, par des airs simples et nationaux, les sentimens et les pensées qui échappent à mes paroles. Enfin je me sens poëte, non pas seulement quand un heureux choix de rimes ou de syllabes harmonieuses, quand une heureuse réunion d’images éblouit les auditeurs, mais quand mon ame s’élève, quand elle dédaigne de plus haut l’égoïsme et la bassesse, enfin quand une belle action me serait plus facile : c’est alors que mes vers sont meilleurs. Je suis poëte lorsque j’admire, lorsque je méprise, lorsque je hais, non par des sentimens personnels, non pour ma propre cause, mais pour la dignité de l’espèce humaine et la gloire du monde. —

Corinne s’aperçut alors que la conversation l’avait entraînée, elle en rougit un peu ; et se tournant vers lord Nelvil, elle lui dit : — Vous le voyez, je ne puis approcher d’aucun,