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CORINNE OU L’ITALIE.

province où elle était née, et mon père, qu’elle dominait, lui avait fait le sacrifice du séjour de Londres ou d’Edimbourg. C’était une personne froide, digne, silencieuse, dont les yeux étaient sensibles quand elle regardait sa fille ; mais qui avait d’ailleurs quelque chose de si positif dans l’expression de sa physionomie, et dans ses discours, qu’il paraissait impossible de lui faire entendre, ni une idée nouvelle, ni seulement une parole à laquelle elle ne fut pas accoutumée. Elle me reçut bien, mais j’aperçus facilement que toute ma manière la surprenait, et qu’elle se proposait de la changer, si elle le pouvait. L’on ne dit pas un mot pendant le dîner, bien qu’on eût invité quelques personnes du voisinage : je m’ennuyais tellement de ce silence, qu’au milieu du repas j’essayai de parler un peu à un homme âgé qui était assis à côté de moi. Je savais assez bien l’anglais, que mon père m’avait appris dès l’enfance, et je citai dans la conversation des vers italiens très-purs, très-délicats, mais dans lesquels il était question d’amour : ma belle-mère, qui savait un peu l’italien, me regarda, rougit et donna le signal aux femmes, plutôt qu’à l’ordinaire encore, de se retirer pour aller préparer le thé, et laisser les hommes seuls à table