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CORINNE OU L’ITALIE.

parlais, mille petites peines semblables aux liens dont les pygmées entouraient Gulliver, me rendaient tous les mouvemens impossibles, et je finissais par faire comme les autres, en apparence, mais avec cette différence que je mourais d’ennui, d’impatience et de dégoût au fond du cœur. J’avais déjà passé ainsi quatre années les plus fastidieuses du monde, et ce qui m’affligeait davantage encore, je sentais mon talent se refroidir, mon esprit se remplissait, malgré moi, de petitesses : car, dans une société où l’on manque tout à la fois d’intérêt pour les sciences, la littérature, les tableaux et la musique, où l’imagination enfin n’occupe personne, ce sont les petits faits, les critiques minutieuses qui font nécessairement le sujet des entretiens, et les esprits étrangers à l’activité comme à la méditation ont quelque chose d’étroit, de susceptible et de contraint, qui rend les rapports de la société tout à la fois pénibles et fades.

Il n’y a là de jouissance que dans une certaine régularité méthodique, qui convient à ceux dont le désir est d’effacer toutes les supériorités, pour mettre le monde à leur niveau ; mais cette uniformité est une douleur habituelle pour les caractères appelés à une destinée qui