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CORINNE OU L’ITALIE.

père, qui devait venir passer huit jours chez le mien, avec une véritable anxiété ; et ce sentiment était alors trop peu motivé pour qu’il ne fût pas un avant-coureur de ma destinée. Quand lord Nelvil arriva, je désirai de lui plaire, je le désirai peut-être trop, et je fis pour y réussir infiniment plus de frais qu’il n’en fallait ; je lui montrai tous mes talens, je dansai, je chantai, j’improvisai pour lui, et mon esprit, long-temps contenu, fut peut-être trop vif en brisant ses chaînes. Depuis sept ans l’expérience m’a calmée ; j’ai moins d’empressement à me montrer ; je suis plus accoutumée à moi ; je sais mieux attendre ; j’ai peut-être moins de confiance dans la bonne disposition des autres, mais aussi moins d’ardeur pour leurs applaudissemens, enfin il est possible qu’alors il y eût en moi quelque chose d’étrange. On a tant de feu, tant d’imprudence dans la première jeunesse ! on se jette en avant de la vie avec tant de vivacité ! L’esprit, quelque distingué qu’il soit, ne supplée jamais au temps : et bien qu’avec cet esprit on sache parler sur les hommes comme si l’on les connaissait, on n’agit point en conséquence de ses propres aperçus ; on a je ne sais quelle fièvre dans les idées, qui ne nous