Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
CORINNE OU L’ITALIE.

dais rien ; elle imitait aussi mon silence, mais ses, yeux se remplissaient de larmes. Ma santé souffrait tous les jours davantage du climat et de mes peines intérieures ; mon esprit a besoin de mouvement et de gaieté, je vous l’ai dit souvent, la douleur me tuerait ; il y a trop de lutte en moi contre elle ; il faut lui céder pour n’en pas mourir.

Je revenais donc fréquemment à l’idée qui m’avait occupée depuis la mort de mon père ; mais j’aimais beaucoup Lucile, qui avait alors neuf ans, et que je soignais depuis six comme sa seconde mère ; un jour je pensai que si je partais ainsi secrètement, je ferais un tel tort à ma réputation, que le nom de ma sœur en souffrirait, et cette crainte me fit renoncer, pour un temps, à mes projets. Cependant, un soir que j’étais plus affectée que jamais des chagrins que j’éprouvais, et dans mes rapports avec ma belle-mère, et dans mes rapports avec la société, je me trouvai seule à souper avec lady Edgermond ; et, après une heure de silence, il me prit tout à coup un tel ennui de son imperturbable froideur, que je commençai la conversation en me plaignant de la vie que je menais, plus, d’abord, pour la forcer à parler que pour l’amener à aucun résultat qui put me concerner ; mais en m’animant, je supposai tout à coup la possibilité, dans une situa-