DES pensées plus inquiètes s’emparèrent de
moi quand je perdis de vue les côtes d’Angleterre ;
mais comme je n’y avais pas laissé d’attachement
vif, je fus bientôt consolée, en arrivant
à Livourne, par tout le charme de l’Italie. Je
ne dis à personne mon véritable nom, comme
je l’avais promis à ma belle-mère ; je pris seulement
celui de Corinne, que l’histoire d’une femme
grecque, amie de Pindare, et poëte, m’avait
fait aimer[1].
Ma figure, en se développant,
avait tellement changé que j’étais sûre de n’ëtre
pas reconnue ; j’avais vécu assez solitaire à
Florence, et je devais compter sur ce qui m’est
arrivé, c’est que personne à Rome n’a su qui j’étais.
Ma belle-mère me manda qu’elle avait répandu
le bruit que les médecins m’avaient ordonné
le voyage du midi pour rétablir ma santé
et que j’étais morte dans la traversée. Sa lettre
ne contenait d’ailleurs aucune réflexion : elle me
fit passer avec une très-grande exactitude toute
- ↑ Il ne faut pas confondre le nom de Corinne avec celui de la Corilla, improvisatrice italienne, dont tout le monde a entendu parler. Corinne était une femme grecque célèbre par la poésie lyrique ; Pindare lui-même avait reçu des leçons d’elle.