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CORINNE OU L’ITALIE.

accablaient tous les deux, et leur inspiraient un peu de mécontentement l’un de l’autre : peut-on souffrir en effet sans en accuser ce qu’on aime ? Ne suffirait-il pas d’un regard, d’un accent, pour tout effacer ! mais ce regard, cet accent ne vient pas quand il est attendu, ne vient pas quand il est nécessaire. Rien n’est motivé dans l’amour ; il semble que ce soit une puissance divine qui pense et sent en nous, sans que nous puissions influer sur elle.

Une maladie contagieuse, comme on n’en avait pas vu depuis long-temps, se développa tout à coup dans Rome ; une jeune femme en fut atteinte, et ses amis et sa famille, qui n’avaient pas voulu la quitter, périrent avec elle ; la maison voisine de la sienne éprouva le même sort ; l’on voyait passer, à chaque heure, dans les rues de Rome, cette confrérie vêtue de blanc et le visage voilé, qui accompagne les morts à l’église : on dirait que ce sont des ombres qui portent les morts. Ceux-ci sont, placés à visage découvert sur une espèce de brancard ; on jette seulement sur leurs pieds un satin jaune ou rose, et les enfans s’amusent souvent a jouer avec les mains glacées de celui qui n’est plus. Ce spectacle, terrible et familier tout à la fois, est accompagné par le murmure sombre