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CORINNE OU L’ITALIE.

que, lui proposer de rester, eût été plus cruel encore. Il avait l’air personnel en éloignant ainsi Corinne de Rome, et néanmoins il ne l’était pas ; car la crainte de l’affliger en partant seul agissait encore plus sur lui que le bonheur même qu’il goûtait avec elle. Il ne savait pas ce qu’il ferait, il ne voyait rien au-delà de Venise. Il avait écrit en Écosse à l’un des amis de son père, pour savoir si son régiment serait bientôt employé activement dans la guerre, et il attendait sa réponse. Quelquefois il formait le projet d’emmener Corinne avec lui en Angleterre, et il sentait aussitôt qu’il la perdait à jamais de réputation s’il la conduisait avec lui dans ce pays sans qu’elle fût sa femme ; une autre fois il voulait, pour adoucir l’amertume de la séparation, l’épouser secrètement avant de partir, et l’instant d’après il repoussait cette idée. — Y a-t-il des secrets pour les morts, se disait-il, et que gagnerai-je à faire un mystère d’une union qui n’est empêchée que par le culte d’un tombeau ? — Enfin il était bien malheureux. Son ame, qui manquait de force dans tout ce qui tenait au sentiment, était cruellement agitée par des affections Contraires. Corinne s’en remettait à lui comme une victime résignée ; elle s’exaltait à travers ses peines, par les sacrifices mêmes