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CORINNE OU L’ITALIE.

la foule de lettres où cet infortuné demande la mort, qu’il a depuis si long-temps obtenue. Le Tasse avait cette organisation particulière du talent, qui le rend si redoutable à ceux qui le possèdent ; son imagination se retournait contre lui-même ; il ne connaissait si bien tous les secrets de l’ame, il n’avait tant de pensées, que parce qu’il éprouvait beaucoup de peines. Celui qui na pas souffert, dit un prophète, que sait-il ?

Corinne, à quelques égards, avait une manière d’être semblable ; son esprit était plus gai, ses impressions plus variées ; mais son imagination avait de même besoin d’être extrêmement ménagée ; car loin de la distraire de ses chagrins, elle en accroissait la puissance. Lord Nelvil se trompait, en croyant, comme il le faisait souvent, que les facultés brillantes de Corinne pouvaient lui donner des moyens de bonheur indépendans de ses affections. Quand une personne de génie est douée d’une sensibilité véritable, ses chagrins se multiplient par ses facultés mêmes : elle fait des découvertes dans sa propre peine, comme dans le reste de la nature, et le malheur du cœur étant inépuisable, plus on a d’idées, mieux on le sent.