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CORINNE OU L’ITALIE.

qu’agréable ; on croit d’abord voir une ville submergée ; et la réflexion est nécessaire pour admirer le génie des mortels qui ont conquis cette demeure sur les eaux. Naples est bâtie en amphithéâtre au bord de la mer, mais Venise étant sur un terrain tout-à-fait plat, les clochers ressemblent aux mâts d’un vaisseau qui resterait immobile au milieu des ondes. Un sentiment de tristesse s’empare de l’imagination en entrant dans Vénise. On prend congé de la végétation : on ne voit pas même une mouche en ce séjour ; tous les animaux en sont bannis ; et l’homme seul est là pour lutter contre la mer.

Le silence est profond dans cette ville dont les rues sont des canaux, et le bruit des rames est l’unique interruption à ce silence ; ce n’est pas la campagne, puisqu’on n’y voit pas un arbre ; ce n’est pas la ville, puisqu’on n’y entend pas le moindre mouvement ; ce n’est pas même un vaisseau, puisqu’on n’avance pas : c’est une demeure dont l’orage fait une prison ; car il y a des momens où l’on ne peut, sortir ni de la ville ni de chez soi. On trouve des hommes du peuple à Venise qui n’ont jamais été d’un quartier à l’autre, qui n’ont pas vu la place Saint-Marc, et pour qui la vue d’un cheval ou