Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/235

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
CORINNE OU L’ITALIE.

comme un sultan son sérail. Il leur demandait seulement, comme à des femmes, de ne point se mêler de politique, de ne point juger l’autorité ; mais, à ce prix, il leur promettait beaucoup d’amusemens, et même assez de gloire ; car les dépouilles de Constantinople qui enrichissent les églises, les étendards de Chypre et de Candie qui flottent sur la place publique, les chevaux de Corinthe, réjouissent les regards du peuple, et le lion ailé de Saint-Marc lui paraît l’emblème de sa gloire.

Le système du gouvernement interdisant à ses sujets l’occupation des affaires politiques, et la situation de la ville rendant impossible l’agriculture, les promenades et la chasse, il ne restait aux Vénitiens d’autre intérêt que l’amusement : aussi cette ville était-elle une ville de plaisirs. Le dialecte vénitien est doux et léger comme un souffle agréable : on ne conçoit pas comment ceux qui ont résisté à la ligue de Cambrai parlaient une langue si flexible. Ce dialecte est charmant quand on le consacre à la grâce ou à la plaisanterie ; mais quand on s’en sert pour des objets plus graves ; quand on entend des vers sur la mort, avec ces sons délicats et presque enfantins, on croirait que cet événement, ainsi chanté, n’est qu’une fiction poétique.