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CORINNE OU L’ITALIE.

nation et point de vanité sociale ; mais l’esprit naturel se tourne en épigrammes plutôt qu’en poésie dans les pays où la crainte d’être l’objet de la moquerie fait que chacun se hâte de saisir cette arme le premier : les peuples aussi qui sont restés plus près de la nature ont conservé pour elle un respect qui sert très-bien l’imagination. Les cavernes sont sacrées, disent les Dalmates : sans doute qu’ils expriment ainsi une terreur vague des secrets de la terre. Leur poésie ressemble un peu à celle d’Ossian, bien qu’ils soient habitans du midi ; mais il n’y a que deux manières très-distinctes de sentir la nature ; l’animer comme les anciens, la perfectionner sous mille formes brillantes, ou se laisser aller comme les Bardes écossais à l’effroi du mystère, à la mélancolie qu’inspire l’incertain et l’inconnu. Depuis que je vous connais, Oswald, ce dernier genre me plaît. Autrefois j’avais assez d’espérance et de vivacité, pour aimer les images riantes et jouir de la nature sans craindre la destinée. — Ce serait donc moi, dit Oswald, moi qui aurais flétri cette belle imagination à laquelle j’ai dû les jouissances les plus enivrantes de ma vie. — Ce n’est pas vous qu’il faut en accuser, répondit Corinne, mais une passion profonde. Le talent a besoin d’une indépendance