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CORINNE OU L’ITALIE.

matelots, malgré leurs habitudes guerrières, s’expriment avec beaucoup de douceur, et montrent une pitié singulière pour les femmes et les enfans quand il s’en trouve à bord avec eux. On est d’autant plus touché de ces sentimens qu’on sait avec quel sang-froid ils s’exposent à ces effroyables dangers de la guerre et de la mer, au milieu desquels la présence de l’homme a quelque chose de surnaturel.

Corinne et lord Nelvil remontèrent sur la barque qui devait les conduire ; ils revirent cette ville de Naples bâtie en amphithéâtre, comme pour assister plus commodément à la fête de la nature, et Corinne, en mettant le pied sur le rivage, ne put se défendre d’un sentiment de joie. Si lord Nelvil s’était douté de ce sentiment, il en eût été vivement blessé, peut-être avec raison ; et cependant il eût été injuste envers Corinne, car elle l’aimait passionnément, malgré l’impression pénible que lui faisaient les souvenirs d’un pays où des circonstances cruelles l’avaient rendue malheureuse. Son imagination était mobile, il y avait dans son cœur une grande puissance d’aimer ; mais le talent, et le talent surtout dans une femme, cause une disposition à l’ennui, un besoin de distraction que la passion la plus profonde ne fait pas disparaître en-