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CORINNE OU L’ITALIE.

acquise, lui donnaient encore trop d’intérêt pour elle-même. Ce n’est qu’en se détachant de tout dans ce monde qu’on peut renoncer à ce qu’on aime ; tous les autres sacrifices précèdent celui-là, et la vie peut être depuis long-temps un désert, sans que le feu qui l’a dévastée soit éteint.

Enfin, au milieu des doutes et des combats qui renversaient et renouvelaient sans cesse le plan de Corinne, elle reçut une lettre d’Oswald, qui lui annonçait que son régiment devait s’embarquer dans six semaines, et qu’il ne pouvait profiter de ce temps pour aller à Venise, parce qu’un colonel qui s’éloignerait dans un pareil moment se perdrait de réputation. Il ne restait à Corinne que le temps d’arriver en Angleterre avant que lord Nelvil s’éloignât d’Europe, et peut-être pour toujours. Cette crainte acheva de décider son départ. Il faut plaindre Corinne, car elle n’ignorait pas tout ce qu’il y avait d’inconsidéré dans sa démarche : elle se jugeait plus sévèrement que personne ; mais quelle femme aurait le droit de jeter la première pierre à l’infortunée qui ne justifie point sa faute, qui n’en espère aucune jouissance, mais fuit d’un malheur à l’autre, comme si des fantômes effrayans la poursuivaient de toutes parts ?

Voici les dernières lignes de sa lettre au prince