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CORINNE OU L’ITALIE.


CHAPITRE III.


COMBIEN elle est malheureuse la femme délicate et sensible qui commet une grande imprudence, qui la commet pour un objet dont elle se croit moins aimée, et n’ayant qu’elle-même pour soutien de ce qu’elle fait ! Si elle hasardait sa réputation et son repos pour rendre un grand service à celui qu’elle aime, elle ne serait point à plaindre. Il est si doux de se dévouer ; il y a dans l’ame tant de délices quand on brave tous les périls pour sauver une vie qui nous est chère, pour soulager la douleur qui déchire un cœur ami du nôtre ; mais traverser ainsi seule des pays inconnus, arriver sans être attendue, rougir d’abord, devant ce qu’on aime, de la preuve même d’amour qu’on lui donne ; risquer tout parce qu’on le veut, et non parce qu’un autre vous le demande, quel pénible sentiment ! quelle humiliation digne pourtant de pitié ! car tout ce qui vient d’aimer en mérite. Que serait-ce si l’on compromettait ainsi l’existence des autres, si l’on manquait à des devoirs envers des liens sacrés ?