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CORINNE OU L’ITALIE.

un beau talent en fait sentir la force et l’originalité. Il y a moins d’art, moins de convenu qu’en France ; l’impression qu’elle produit est plus immédiate ; le désespoir véritable s’exprimerait ainsi ; et la nature des pièces et le genre de la versification, plaçant l’art dramatique à moins de distance de la vie réelle, l’effet qu’il produit est plus déchirant. Il faut d’autant plus de génie pour être un grand acteur en France, qu’il y a fort peu de liberté pour la manière individuelle, tant les règles générales prennent d’espace[1]. Mais en Angleterre on peut tout risquer, si la nature l’inspire. Ces longs gémissemens, qui paraissent ridicules quand on les raconte, font tressaillir quand on les entend. L’actrice la plus noble dans ses manières, madame Siddons, ne perd rien de sa dignité quand elle se prosterne contre terre. Il n’y a rien qui ne puisse être admirable, quand une émotion intime y entraîne, une émotion qui part du centre de l’ame et domine celui qui la ressent plus encore que celui qui en est témoin. Il y a chez les diverses nations une façon différente de jouer la tragédie ; mais l’expression de la douleur s’entend d’un bout du monde a l’autre ; et depuis le sauvage jusqu’au roi, il y a quelque chose de semblable dans tous les

  1. Talma ayant passé plusieurs années de sa vie à Londres, a su réunir dans son admirable talent, le caractère et les beautés de l’art théâtral des deux pays.