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CORINNE OU L’ITALIE.

bien plus que les larmes : cette amère ironie du malheur est son expression la plus déchirante. Qu’elle est terrible la souffrance du cœur, quand elle inspire une si barbare joie, quand elle donne, à l’aspect de son propre sang, le contentement féroce d’un sauvage ennemi qui se serait vengé !

Alors sans doute Lucile fut tellement attendrie que sa mère s’en alarma, car on la vit se retourner avec inquiétude de son côté : Oswald se leva comme s’il voulait aller vers elle ; mais bientôt après il se rassit. Corinne eut quelque joie de ce second mouvement ; mais elle se dit en soupirant : — Lucile ma sœur, qui m’était si chère autrefois, est jeune et sensible, dois-je vouloir lui ravir un bien dont elle pourrait jouir sans obstacle, sans que celui qu’elle aimerait lui fit aucun sacrifice ? — La pièce finie, Corinne voulut laisser sortir tout le monde avant de s’en aller, de peur d’être reconnue, et elle se mit derrière une petite ouverture de sa loge d’où elle pouvait apercevoir ce qui se passait dans le corridor. Au moment où Lucile sortit, la foule se rassembla pour la voir, et l’on entendait de tous les côtés des exclamations sur sa ravissante figure. Lucile se troublait de plus en plus. Lady Edgermond, infirme et malade, avait de la