Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/400

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sont confiés leurs pensées les plus intimes, qui se sont parlé de Dieu, de l’immortalité de l’ame, de la douleur, redeviennent tout à coup étrangers l’un à l’autre ? Étonnant mystère que l’amour ! sentiment admirable ou nul ! religieux comme l’étaient les martyrs, ou plus froid que l’amitié la plus simple. Ce qu’il y a de plus involontaire au monde vient-il du ciel ou des passions terrestres ? Faut-il s’y soumettre ou le combattre ? Ah ! qu’il se passe d’orages au fond du cœur !

Le talent devrait être une ressource ; quand Le Dominiquin fut enfermé dans un couvent, il peignit des tableaux superbes sur les murs de sa prison, et laissa des chefs-d’œuvre pour trace de son séjour ; mais il souffrait par les circonstances extérieures ; le mal n’était pas dans l’ame ; quand il est là rien n’est possible, la source de tout est tarie.

Je m’examine quelquefois comme un étranger pourrait le faire, et j’ai pitié de moi. J’étais spirituelle, vraie, bonne, généreuse, sensible, pourquoi tout cela tourne-t-il si fort à mal ? Le monde est-il vraiment méchant ? et de certaines qualités nous ôtent-elles nos armes au lieu de nous donner de la force ?