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CORINNE OU L’ITALIE.

personnes d’une autre classe dont ils se font écouter en les effrayant. Lorsqu’on veut traverser le Mont-Cenis pendant l’hiver, les voyageurs, les aubergistes vous donnent à chaque instant des nouvelles du passage du mont, c’est ainsi qu’on l’appelle : et l’on dirait qu’on parle d’un monstre immobile, gardien des vallées qui conduisent à la terre promise. On observe le temps pour savoir s’il n’y a rien à redouter, et lorsqu’on peut craindre le vent nommé la tourmente, on conseille fortement aux étrangers de ne pas se risquer sur la montagne. Ce vent s’annonce dans le ciel par un nuage blanc qui s’étend comme un linceul dans les airs, et peu d’heures après tout l’horizon en est obscurci.

Lucile avait pris secrètement toutes les informations possibles à l’insçu de lord Nelvil ; il ne se doutait pas de ces terreurs et se livrait tout entier aux réflexions que faisait naître en lui le retour en Italie. Lucile, que le but du voyage agitait encore plus que le voyage même, jugeait tout avec une prévention défavorable, et faisait tacitement un tort à lord Nelvil de sa parfaite sécurité sur elle et sur sa fille. Le matin du passage du Mont-Cenis, plusieurs paysans se rassemblèrent autour de Lucile, et lui dirent que le temps menaçait de la tourmente. Néanmoins ceux