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CORINNE OU L’ITALIE.

supérieure se passerait facilement de moi. Corinne, j’ai déchiré votre cœur, je le sais ; mais je croyais n’immoler que moi. Je pensais que j’étais plus que vous inconsolable, et que vous m’oublieriez, quand je vous regretterais toujours. Enfin les circonstances m’enlacèrent, et je ne veux point nier que Lucile ne soit digne et des sentimens qu’elle m’inspire, et de bien mieux encore. Mais dès que je sus votre voyage en Angleterre, et le malheur que je vous avais causé, il n’y eut plus dans ma vie qu’une peine continuelle. J’ai cherché la mort pendant quatre ans, au milieu de la guerre, certain qu’en apprenant que je n’étais plus vous me trouveriez justifié. Sans doute vous avez à m’opposer une vie de regrets et de douleurs, une fidélité profonde pour un ingrat qui ne la méritait pas. Mais songez que la destinée des hommes se complique de mille rapports divers qui troublent la constance du cœur. Cependant, s’il est vrai que je n’ai pu trouver ni donner le bonheur ; s’il est vrai que je vis seul depuis que je vous ai quittée ; que jamais je ne parle du fond de mon cœur ; que la mère de mon enfant, que celle que je dois aimer à tant de titres, reste étrangère à mes secrets comme à mes pensées ; s’il est vrai qu’un état habituel