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CORINNE OU L’ITALIE.

Comme les fleurs, plus de parfums vers le soir. Il m’embrassa les larmes aux yeux ; il me disait souvent qu’à son âge tout était solennel ; mais moi je croyais à sa vie comme à la mienne : nos ames s’entendaient si bien, il était si jeune pour aimer, que je ne songeais pas à sa vieillesse. La confiance comme la crainte sont inexplicables dans les affections vives. Mon père m’accompagna cette fois jusqu’au seuil de la porte de son château, de ce château que j’ai revu depuis désert et dévasté comme mon triste cœur.

Il n’y avait pas huit jours que j’étais à Londres, quand je reçus de madame d’Arbigny la fatale lettre dont j’ai retenu chaque mot. « Hier, dix août, disait-elle, mon frère a été massacré aux Tuileries en défendant son roi. Je suis proscrite comme sa sœur, et obligée de me cacher pour échapper à mes persécuteurs. Le comte Raimond avait pris toute ma fortune avec la sienne, pour la faire passer en Angleterre : l’avez-vous déjà reçue ? ou savez-vous à qui il l’a confiée pour vous la remettre ? Je n’ai qu’un mot de lui, écrit du château même, au moment où il sut qu’on se disposait à l’attaquer ; et ce mot me dit seulement de m’adresser à vous pour tout savoir. Si vous