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CORINNE OU L’ITALIE.

je n’ai rien vu de comparable au sérieux de son maintien quand il entrait dans une chambre. Je ne l’aurais jamais pris pour un Français s’il n’avait pas eu le goût de la plaisanterie, et un besoin de parler très-bizarre dans un homme qui paraissait blasé sur tout, et qui mettait cette disposition en système. Il prétendait qu’il était né très-sensible, très-enthousiaste, mais que la connaissance des hommes dans la révolution de France l’avait détrompé de tout cela. Il avait aperçu, disait-il, qu’il n’y avait de bon dans ce monde que la fortune ou le pouvoir, ou tous les deux, et que les amitiés, en général, devaient être considérées comme des moyens qu’il faut prendre ou quitter selon les circonstances. Il était assez habile dans la pratique de cette opinion ; il n’y faisait qu’une faute, c’était de la dire, mais bien qu’il n’eût pas, comme les Français d’autrefois, le désir de plaire, il lui restait le besoin de faire effet par la conversation, et cela le rendait très-imprudent. Bien différent en cela de madame d’Arbigny, qui voulait atteindre son but, mais qui ne se trahissait point comme M. de Maltigues, en cherchant à briller par l’immoralité même. Entre ces deux personnes, ce qui était bizarre, c’est que la femme sensible cachait bien son