Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
CORINNE OU L’ITALIE.

madame d’Arbigny, que je ne conçois pas encore comment, en la lisant, je n’ai pas prévu le malheur dont j’ëtais menacé. Je fus assez ému néanmoins pour ne plus hésiter, et j’allai chez madame d’Arbigny, parfaitement décidé à prendre congé d’elle. Elle aperçut bien vite que mon parti était pris, et, se recueillant en elle-même, tout à coup elle se leva et me dit : — Avant de partir il faut que vous sachiez un secret que je rougissais de vous avouer. Si vous m’abandonnez, ce ne sera pas moi seule que vous ferez mourir, et le fruit de ma honte et de mon coupable amour périra dans mon sein avec moi. — Rien ne peut exprimer l’émotion que j’éprouvai ; ce devoir sacré, ce devoir nouveau s’empara de toute mon ame, et je fus soumis à madame d’Arbigny comme l’esclave le plus dévoué.

Je l’aurais épousée, comme elle le voulait, s’il ne se fût pas rencontré dans ce moment les plus grands obstacles, à ce qu’un Anglais pût se marier en France, en déclarant, comme il le fallait, son nom à l’officier civil. J’ajournai donc notre union jusqu’au moment où nous pourrions aller ensemble en Angleterre, et je résolus de ne pas quitter madame d’Arbigny jusqu’alors : elle se calma d’abord, quand elle fut tranquil-