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CORINNE OU L’ITALIE.

croire le dominateur ; elle échappe à son tyran par la mort. Le feu du torrent est d’une couleur funèbre ; néanmoins quand il brûle les vignes ou les arbres, on en voit sortir une flamme claire et brillante, mais la lave même est sombre, tel qu’on se représente un fleuve de l’enfer ; elle roule lentement comme un sable noir de jour et rouge la nuit. On entend, quand elle approche, un petit bruit d’étincelles qui fait d’autant plus de peur qu’il est léger, et que la ruse semble se joindre à la force : le tigre royal arrive ainsi secrètement à pas comptés. Cette lave avance, avance sans jamais se hâter et sans perdre un instant, si elle rencontre un mur élevé, un édifice quelconque qui s’oppose à son passage, elle s’arrête, elle amoncèle devant l’obstacle ses torrens noirs et bitumineux, et l’ensevelit enfin sous ses vagues brûlantes. Sa marche n’est point assez rapide pour que les hommes ne puissent pas fuir devant elle, mais elle atteint, comme le temps, les imprudens et les vieillards qui, la voyant venir lourdement et silencieusement, s’imaginent qu’il est aisé de lui échapper. Son éclat est si ardent, que pour la première fois la terre se réfléchit dans le ciel, et lui donne l’apparence d’un éclair continuel : ce ciel, à son tour, se répète dans la