Page:Debussy - Monsieur Croche, 1921.djvu/112

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du génie de Franck sans dire jamais ce qu’il a d’unique, c’est-à-dire : l’ingénuité. Cet homme qui fut malheureux, méconnu, avait une âme d’enfant si indéracinablement bonne, qu’il put contempler sans jamais d’aigreur la méchanceté des gens et la contradiction des événements.

C’est ainsi qu’il écrivit ces chœurs trop facilement dramatiques, ces développements en grisaille fatigante et obstinée, qui nous semblent quelquefois déparer la beauté des Béatitudes, avec cette candeur confiante qui devient admirable lorsqu’il est face à face avec la musique, devant laquelle il s’agenouille en murmurant la prière la plus profondément humaine qui soit sortie d’une âme mortelle. — Jamais il ne pense mal, ni ne soupçonne l’ennui. Nulle trace de cette rouerie, flagrante chez Wagner, par quoi celui-ci rallume l’attention d’un public, parfois fatigué d’une trop continue transcendance, en exécutant une pirouette sentimentale ou orchestrale.

Chez C. Franck, c’est une dévotion constante à la musique, et c’est à prendre ou à laisser ; nulle puissance au monde ne pouvait lui commander d’interrompre une période qu’il croit juste et nécessaire ; si longue soit-elle, il faut en passer par là. Ceci est bien la marque d’une rêverie désintéressée qui s’interdit tout sanglot dont elle n’aurait pas éprouvé auparavant la véracité.