Page:Debussy - Monsieur Croche, 1921.djvu/24

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oubliée la petite fièvre artificielle et mauvaise des « premières » ; j’étais seul et délicieusement désintéressé ; peut-être n’ai-je jamais plus aimé la musique qu’à cette époque où je n’en entendais jamais parler. Elle m’apparaissait dans sa beauté totale et non plus par petits fragments symphoniques ou lyriques surchauffés et étriqués. Je pensais parfois à M. Croche : il a cet aspect correct et fantômal que l’on peut adapter à n’importe quel paysage sans en contrarier les lignes. Pourtant il me fallut quitter cette joie tranquille et revenir, poussé par cette superstition des villes qui fait que tant d’hommes aiment encore mieux y être broyés que de ne pas faire partie de ce « mouvement » dont ils sont d’ailleurs les douloureux et inconscients rouages. Je remontais dans un vilain crépuscule la monotonie élégante du boulevard Malesherbes quand j’aperçus la brève silhouette de M. Croche ; m’autorisant de ses façons singulières, je marchai près de lui sans plus de formules. Un bref coup d’œil m’assura de son acceptation et bientôt il se mit à parler de cette voix lointaine d’asthmatique qu’exagérait encore la crudité de l’air et qui timbre si curieusement ses moindres paroles…

« Parmi les institutions dont la France s’honore, en connaissez-vous une qui soit plus ridicule que l’institution du prix de Rome ? On l’a déjà, je le sais, beaucoup dit, encore plus écrit ; cela sans