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MOLL FLANDERS

m’eût pas jouée, j’en eusse facilement valu mille pour lui, mais que, la chose étant ainsi, j’avais été sincère et ne m’étais rien réservé pour moi-même, et s’il y en avait eu davantage, je lui aurais tout donné.

Il fut si obligé par mes façons et si charmé de la somme, car il avait été plein de l’affreuse frayeur qu’il n’y eût rien, qu’il accepta avec mille remerciements. Et ainsi je me tirai de la fraude que j’avais faite, en passant pour avoir une fortune sans avoir d’argent, et en pipant un homme au mariage par cet appât, chose que d’ailleurs je tiens pour une des plus dangereuses où une femme puisse s’engager, et où elle s’expose aux plus grands hasards d’être maltraitée par son mari.

Mon mari, pour lui donner son dû, était un homme d’infiniment de bonne humeur, mais ce n’était point un sot, et, trouvant que son revenu ne s’accordait pas à la manière de vivre qu’il eût entendu, si je lui eusse apporté ce qu’il espérait, désappointé d’ailleurs par le profit annuel de ses plantations en Virginie, il me découvrit maintes fois son inclination à passer en Virginie pour vivre sur ses terres, et souvent me peignait de belles couleurs la façon dont on vivait là-bas, combien tout était à bon marché, abondant, délicieux, et mille choses pareilles.

J’en vins bientôt à comprendre ce qu’il voulait dire, et je le repris bien simplement un matin, en lui disant qu’il me paraissait que ses terres ne rendaient presque rien à cause de la distance, en comparaison du revenu qu’elles auraient s’il y demeurait, et que je voyais bien qu’il avait le désir d’aller y vivre ; que je sentais vivement qu’il avait été désappointé en épousant sa femme,