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MOLL FLANDERS

Mon sang était maintenant enflammé à l’extrême, et rien ne pouvait paraître plus irrité ! Je lui dis que pour ses moyens, doux ou violents, je les méprisais également ; que pour mon passage en Angleterre, j’y étais résolue, advînt ce que pourrait ; que pour ce qui était de ne le point traiter en mari ni d’agir en mère de mes enfants, il y avait peut-être là-dedans plus qu’il n’en pouvait encore comprendre, mais que je jugeais à propos de lui dire ceci seulement : que ni lui n’était mon mari devant la loi, ni eux mes enfants devant la loi, et que j’avais bonne raison de ne point m’inquiéter d’eux plus que je ne le faisais.

J’avoue que je fus émue de pitié pour lui sur mes paroles, car il changea de couleur, pâle comme un mort, muet comme un frappé par la foudre, et une ou deux fois je crus qu’il allait pâmer ; en somme il fut pris d’un transport assez semblable à une apoplexie ; il tremblait ; une sueur ou rosée découlait de son visage, et cependant il était froid comme la glèbe ; si bien que je fus obligée de courir chercher de quoi le ranimer ; quand il fut revenu à lui, il fut saisi de hauts-le-cœur et se mit à vomir ; et un peu après on le mit au lit, et le lendemain matin il était dans une fièvre violente.

Toutefois, elle se dissipa, et il se remit, mais lentement ; et quand il vint à être un peu mieux, il me dit que je lui avais fait de ma langue une blessure mortelle et qu’il avait seulement une chose à me demander avant toute explication. Je l’interrompis et lui dis que j’étais fâchée d’être allée si loin, puisque je voyais le désordre où mes paroles l’avaient jeté, mais que je le suppliais de ne point parler d’explications, car cela ne ferait que tout tourner au pire.