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MOLL FLANDERS

nous fûmes ensemble cette nuit-là, et que les choses, ainsi que j’ai dit, étaient allées si loin, je trouvai ma faiblesse et qu’il n’y avait pas à résister à l’inclination ; mais je fus obligée de tout céder avant même qu’il le demandât.

Cependant, il fut si juste envers moi, qu’il ne me le reprocha jamais, et jamais n’exprima le moindre déplaisir de ma conduite à nulle autre occasion, mais protestait toujours qu’il était aussi ravi de ma société qu’il l’avait été la première heure que nous fûmes réunis ensemble.

D’autre part, quoique je ne fusse pas sans de secrets reproches de ma conscience pour la vie que je menais, et cela jusque dans la plus grande hauteur de la satisfaction que j’éprouvai, cependant j’avais la terrible perspective de la pauvreté et de la faim, qui m’assiégeait comme un spectre affreux, de sorte qu’il n’y avait pas à songer à regarder en arrière ; mais ainsi que la pauvreté m’y avait conduite, ainsi la crainte de la pauvreté m’y maintenait-elle ; et fréquemment je prenais la résolution de tout abandonner, si je pouvais parvenir à épargner assez d’argent pour m’entretenir ; mais c’étaient des pensées qui n’avaient point de poids, et chaque fois qu’il venait me trouver, elles s’évanouissaient : car sa compagnie était si délicieuse qu’il était impossible d’être mélancolique lorsqu’il était là ; ces réflexions ne me venaient que pendant les heures où j’étais seule.

Je vécus six ans dans cette condition, tout ensemble heureuse et infortunée, pendant lequel temps je lui donnai trois enfants ; mais le premier seul vécut ; et quoique ayant déménagé deux fois pendant ces six