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MOLL FLANDERS

tune, si j’eusse été telle, montrait assez de vilenie ; et de mettre l’apparence de grandeurs sur une pauvre condition n’était que de la fourberie, et bien méchante ; mais le cas différait un peu, et en sa faveur à lui : car il n’était pas de ces gueux qui font métier de duper des femmes, ainsi que l’ont fait certains, et de happer six ou sept fortunes l’une après l’autre, pour les rafler et décamper ensuite ; mais c’était déjà un gentilhomme, infortuné, et tombé bas, mais qui avait vécu en bonne façon ; et quand même j’eusse eu de la fortune, j’eusse été tout enragée contre la friponne, pour m’avoir trahie ; toutefois, vraiment, pour ce qui est de l’homme, une fortune n’aurait point été mal placée sur lui, car c’était une personne charmante, en vérité, de principes généreux, de bon sens, et qui avait abondance de bonne humeur.

Nous eûmes quantité de conversations intimes cette nuit-là, car aucun de nous ne dormit beaucoup ; il était aussi repentant d’avoir été la cause de toutes ces duperies, que si c’eût été de la félonie, et qu’il marchât au supplice ; il m’offrit encore jusqu’au dernier shilling qu’il avait sur lui, et dit qu’il voulait partir à l’armée pour tâcher à en gagner.

Je lui demandai pourquoi il avait eu la cruauté de vouloir m’emmener en Irlande, quand il pouvait supposer que je n’eusse point pu y subsister. Il me prit dans ses bras :

— Mon cœur, dit-il, je n’ai jamais eu dessein d’aller en Irlande, bien moins de vous y emmener ; mais je suis venu ici pour échapper à l’observation des gens qui avaient entendu ce que je prétendais faire, et afin que