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MOLL FLANDERS

sept heures, que tomba le crépuscule du soir (c’était au mois d’août), quand, à ma surprise indicible, le voici revenir à l’hôtellerie et monter tout droit à ma chambre.

Je fus dans la plus grande confusion qu’on puisse s’imaginer, et lui pareillement ; je ne pouvais deviner quelle était l’occasion de son retour, et je commençai à me demander si j’en devais être heureuse ou fâchée ; mais mon affection inclina tout le reste, et il me fut impossible de dissimuler ma joie, qui était trop grande pour des sourires, car elle se répandit en larmes. À peine fut-il entré dans la chambre, qu’il courut à moi et me prit dans ses bras, me tenant serrée, et m’étouffant presque l’haleine sous ses baisers, mais ne dit pas une parole. Enfin je commençai :

— Mon amour, dis-je, comment as-tu pu t’en aller loin de moi ?

À quoi il ne fit pas de réponse, car il lui était impossible de parler.

Quand nos extases furent un peu passées, il me dit qu’il était allé à plus de quinze lieues, mais qu’il n’avait pas été en son pouvoir d’aller plus loin sans revenir pour me voir une fois encore, et une fois encore me dire adieu.

Je lui dis comment j’avais passé mon temps et comment je lui avais crié à voix haute de revenir. Il me dit qu’il m’avait entendue fort nettement dans la forêt de Delamere, à un endroit éloigné d’environ douze lieues. Je souris.

— Non, dit-il, ne crois pas que je plaisante, car si jamais j’ai entendu ta voix dans ma vie, je t’ai entendue m’appeler à voix haute, et parfois je me figurais que je te voyais courir après moi.