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MOLL FLANDERS

de larmes, et lui demandai la permission de me retirer un peu dans ma chambre. Si j’ai eu une once de sincère repentir pour une abominable vie de vingt-quatre années passées, ç’a été alors.

— Oh ! quel bonheur pour l’humanité, me dis-je à moi-même, qu’on ne puisse pas lire dans le cœur d’autrui ! Comme j’aurais été heureuse si j’avais été la femme d’un homme de tant d’honnêteté et de tant d’affection, depuis le commencement !

Puis il me vint à la pensée :

— Quelle abominable créature je suis ! Et comme cet innocent gentilhomme va être dupé par moi ! Combien peu il se doute que, venant de divorcer d’avec une catin, il va se jeter dans les bras d’une autre ! qu’il est sur le point d’en épouser une qui a couché avec deux frères et qui a eu trois enfants de son propre frère ! une qui est née à Newgate, dont la mère était une prostituée, et maintenant une voleuse déportée ! une qui a couché avec treize hommes et qui a eu un enfant depuis qu’il m’a vue ! Pauvre gentilhomme, dis-je, que va-t-il faire ?

Après que ces reproches que je m’adressais furent passés, il s’ensuivit ainsi :

— Eh bien, s’il faut que je sois sa femme, s’il plaît à Dieu de me donner sa grâce, je lui serai bonne femme et fidèle, et je l’aimerai selon l’étrange excès de la passion qu’il a pour moi ; je lui ferai des amendes, par ce qu’il verra, pour les torts que je lui fais, et qu’il ne voit pas.

Il était impatient que je sortisse de ma chambre ; mais trouvant que je restais trop longtemps, il descendit l’escalier et parla à l’hôte au sujet du ministre.

Mon hôte, gaillard officieux, quoique bien intentionné,