Page:Defoe - Moll Flanders, trad. Schowb, ed. Crès, 1918.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
MOLL FLANDERS

qu’on m’envoyât, sinon aller en course, ou servir de souillon à quelque fille de cuisine ; et comme on me le répétait souvent, j’en pris une grande frayeur ; car j’avais une extrême aversion à entrer en service, comme ils disaient, bien que je fusse si jeune ; et je dis à ma nourrice que je croyais pouvoir gagner ma vie sans entrer en service, si elle voulait bien me le permettre ; car elle m’avait appris à travailler de mon aiguille et à filer de la grosse laine, qui est la principale industrie de cette ville, et je lui dis que si elle voulait bien me garder, je travaillerais bien fort.

Je lui parlais presque chaque jour de travailler bien fort et, en somme, je ne faisais que travailler et pleurer tout le temps, ce qui affligea tellement l’excellente bonne femme qu’enfin elle se mit à s’inquiéter de moi : car elle m’aimait beaucoup.

Là-dessus, un jour, comme elle entrait dans la chambre où tous les pauvres enfants étaient au travail, elle s’assit juste en face de moi ; non pas à sa place habituelle de maîtresse mais comme si elle se disposait à dessein pour m’observer et me regarder travailler ; j’étais en train de faire un ouvrage auquel elle m’avait mise, et je me souviens que c’était à marquer des chemises ; et après un temps elle commença de me parler :

— Petite sotte, dit-elle, tu es toujours à pleurer (et je pleurais alors), dis-moi pourquoi tu pleures.

— Parce qu’ils vont m’emmener, dis-je, et me mettre en service, et je ne peux pas faire le travail de ménage.

— Eh bien, mon enfant, dit-elle, il est possible que tu ne puisses pas faire le travail de ménage, mais tu