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MOLL FLANDERS

la rue, mais pourtant mon affaire étant de celles qui exigeaient que j’eusse les yeux tournés de tous les côtés, ainsi avais-je réellement eu la lueur qu’il traversait la rue, comme j’ai dit avant, bien qu’il ne s’en fût point douté.

Après avoir entendu tout à plein, l’échevin donna son opinion, qui était que son voisin s’était mis dans l’erreur, et que j’étais innocente, et l’argentier y acquiesça, ainsi que sa femme, et ainsi je fus relâchée ; mais dans le moment que je m’en allais, M. l’échevin dit :

— Mais arrêtez, madame, si vous aviez dessein d’acheter des cuillers, j’aime à croire que vous ne souffrirez pas que mon ami ici perde une cliente pour s’être trompé.

Je répondis sur-le-champ :

— Non, monsieur, j’achèterai fort bien les cuillers, pour peu toutefois qu’elles s’apparient à la cuiller que j’ai là et que j’ai apportée comme modèle.

Et l’argentier m’en fit voir qui étaient de la façon même ; si bien qu’il pesa les cuillers et la valeur en monta à trente-cinq shillings ; de sorte que je tire ma bourse pour le payer, en laquelle j’avais près de vingt guinées, car je n’allais jamais sans telle somme sur moi, quoi qu’il pût advenir, et j’y trouvai de l’utilité en d’autres occasions tout autant qu’en celle-ci.

Quand M. l’échevin vit mon argent, il dit :

— Eh bien, madame, à cette heure je suis bien persuadé qu’on vous a fait tort, et c’est pour cette raison que je vous ai poussée à acheter les cuillers et que je vous ai retenue jusqu’à ce que vous les eussiez achetées ; car si vous n’aviez pas eu d’argent pour les payer,