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MOLL FLANDERS

Toutes mes pensées terrifiantes étaient passées ; les horreurs du lieu m’étaient devenues familières ; je n’éprouvais pas plus de malaise par le tumulte et les clameurs de la prison que celles qui menaient ce tumulte ; en un mot, j’étais devenue un simple gibier de Newgate, aussi méchant et grossier que tout autre ; oui, et j’avais à peine retenu l’habitude et coutume de bonnes façons et manières qui jusque-là avait été répandue dans toute ma conversation ; si complètement étais-je dégénérée et possédée par la corruption que je n’étais pas plus la même chose que j’avais été, que si je n’eusse jamais été autrement que ce que j’étais maintenant.

Au milieu de cette partie endurcie de mon existence, j’eus une autre surprise soudaine qui me rappela un peu à cette chose qu’on nomme douleur, et dont en vérité auparavant j’avais commencé à passer le sens. On me raconta une nuit qu’il avait été apporté en prison assez tard dans la nuit dernière trois voleurs de grand’route qui avaient commis un vol quelque part sur Hounslowheathe (je crois que c’était là) et qui avaient été poursuivis jusqu’à Uxbrige par les gens de la campagne, et là pris après une courageuse résistance, où beaucoup des paysans avaient été blessés et quelques-uns tués.

On ne sera point étonné que nous, les prisonnières, nous fussions toutes assez désireuses de voir ces braves gentilshommes huppés, dont on disait que leurs pareils ne s’étaient point rencontrés encore, d’autant qu’on prétendait que le matin ils seraient transférés dans le préau, ayant donné de l’argent au grand maître de la prison afin qu’on leur accordât la liberté de ce meilleur séjour. Nous donc, les femmes, nous nous mîmes sur leur chemin, afin