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MOLL FLANDERS

en vendre ; et quant à les avoir portées à la lumière pour les regarder, les servantes firent là-dessus d’impudentes moqueries, et y dépensèrent tout leur esprit ; elles dirent à la cour que je les avais regardées bien suffisamment, et que je les avais trouvées à mon goût, puisque je les avais empaquetées et que je m’en allais avec.

En somme je fus jugée coupable de félonie, et acquittée sur le bris de clôture, ce qui ne fut qu’une médiocre consolation, à cause que le premier jugement comportait une sentence de mort, et que le second n’eût pu faire davantage. Le lendemain on m’amena pour entendre la terrible sentence ; et quand on vint à me demander ce que j’avais à dire en ma faveur pour en empêcher l’exécution, je demeurai muette un temps ; mais quelqu’un m’encouragea tout haut à parler aux juges, puisqu’ils pourraient représenter les choses favorablement pour moi. Ceci me donna un peu de cœur, et je leur dis que je ne savais point de raison pour empêcher la sentence, mais que j’avais beaucoup à dire pour implorer la merci de la cour ; que j’espérais qu’en un tel cas elle me ferait une part d’indulgence, puisque je n’avais point forcé de porte, que je n’avais rien enlevé, que personne n’avait rien perdu ; que l’homme à qui appartenaient ces étoffes avait eu assez de bonté pour dire qu’il désirât qu’on me fit merci (ce qu’en effet il avait fort honnêtement dit) ; qu’au pire c’était la première faute et que je n’avais jamais encore comparu en cour de justice ; en somme je parlai avec plus de courage que je n’aurais cru pouvoir faire, et d’un ton si émouvant, que malgré que je fusse en larmes, qui toutefois n’étaient pas assez fortes pour étouffer ma voix, je pus voir que ceux qui m’entendaient étaient émus aux larmes.