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MOLL FLANDERS

en cas de déportation, il lui faudrait le dépenser jusqu’au dernier liard.

Il s’exprima sur ce chef de la manière la plus tendre. Il me dit que l’argent qu’il avait n’était point une somme considérable, mais qu’il ne m’en cacherait jamais une parcelle si j’en avais besoin ; et m’assura qu’il n’avait nullement parlé avec de telles intentions ; qu’il était seulement attentif à ce que je lui avais suggéré ; qu’ici il savait bien quoi faire, mais que là-bas il serait le misérable le plus impuissant qui fût au monde.

Je lui dis qu’il s’effrayait d’une chose où il n’y avait point de terreur ; que s’il avait de l’argent, ainsi que j’étais heureuse de l’apprendre, il pouvait non seulement échapper à la servitude qu’il considérait comme la conséquence de la déportation, mais encore recommencer la vie sur un fondement si nouveau, qu’il ne pouvait manquer d’y trouver le succès s’il y donnait seulement l’application commune qui est usuelle en de telles conditions ; qu’il devait bien se souvenir que je le lui avais conseillé il y avait bien des années et que je lui avais proposé ce moyen de restaurer nos fortunes en ce monde. J’ajoutai qu’afin de le convaincre tout ensemble de la certitude de ce que je disais, de la connaissance que j’avais de la méthode qu’il fallait prendre, et de la probabilité du succès, il me verrait d’abord me délivrer moi-même de la nécessité de passer la mer et puis que je partirais avec lui librement, de mon plein gré et que peut-être j’emporterais avec moi assez pour le satisfaire : que je ne lui faisais point cette proposition parce qu’il ne m’était pas possible de vivre sans son aide ; mais que je pensais que nos infortunes mutuelles eussent été telles qu’elles étaient suf-