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MOLL FLANDERS

moi, je restai les yeux fixes et, tremblante, je le suivis des yeux aussi longtemps que je pus le voir. Puis, m’asseyant sur l’herbe juste à un endroit que j’avais marqué, je feignis de m’y étendre pour me reposer, mais je me détournai de la femme et, couchée sur le visage, je sanglotai et je baisai la terre sur laquelle il avait posé le pied.

Je ne pus cacher mon désordre assez pour que cette femme ne s’en aperçût, d’où elle pensa que je n’étais point bien, ce que je fus obligée de prétendre qui était vrai ; sur quoi elle me pressa de me lever, la terre étant humide et dangereuse, ce que je fis et m’en allai.

Comme je retournais, parlant encore de ce monsieur et de son fils, une nouvelle occasion de mélancolie se présenta en cette manière : la femme commença comme si elle eût voulu me conter une histoire pour me divertir.

— Il court, dit-elle, un conte bien singulier parmi les voisins là où demeurait autrefois ce gentilhomme.

— Et qu’est-ce donc ? dis-je.

— Mais, dit-elle, ce vieux monsieur, étant allé en Angleterre quand il était tout jeune, tomba amoureux d’une jeune dame de là-bas, une des plus belles femmes qu’on ait jamais vue ici et l’épousa et la mena demeurer chez sa mère, qui alors était vivante. Il vécut ici plusieurs années avec elle, continua la femme, et il eut d’elle plusieurs enfants, dont l’un est le jeune homme qui était avec lui tout à l’heure ; mais au bout de quelque temps, un jour que la vieille dame, sa mère, parlait à sa bru de choses qui la touchaient et des circonstances où elle s’était trouvée en Angleterre, qui étaient assez mauvaises, la bru commença d’être fort surprise et inquiète, et en