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MOLL FLANDERS

rances ; mais j’avais entièrement abandonné de semblables pensées et j’étais occupée seulement de l’orgueil de ma beauté, et de me savoir aimée par un tel gentilhomme ; pour l’or, je passais des heures entières à le regarder ; je comptais les guinées plus de mille fois par jour. Jamais pauvre vaine créature ne fut si enveloppée par toutes les parties du mensonge que je ne le fus, ne considérant pas ce qui était devant moi, et que la ruine était tout près de ma porte, et, en vérité, je crois que je désirais plutôt cette ruine que je ne m’étudiais à l’éviter.

Néanmoins, pendant ce temps, j’avais assez de ruse pour ne donner lieu le moins du monde à personne de la famille d’imaginer que j’entretinsse la moindre correspondance avec lui. À peine si je le regardais en public ou si je lui répondais, lorsqu’il m’adressait la parole ; et cependant malgré tout, nous avions de temps en temps une petite entrevue où nous pouvions placer un mot ou deux, et çà et là un baiser, mais point de belle occasion pour le mal médité ; considérant surtout qu’il faisait plus de détours qu’il n’en était besoin, et que la chose lui paraissant difficile, il la rendait telle en réalité.

Mais comme le démon est un tentateur qui ne se lasse point, ainsi ne manque-t-il jamais de trouver l’occasion du crime auquel il invite. Ce fut un soir que j’étais au jardin, avec ses deux jeunes sœurs et lui, qu’il trouva le moyen de me glisser un billet dans la main où il me disait que le lendemain il me demanderait en présence de tout le monde d’aller faire un message pour lui et que je le verrais quelque part sur mon chemin.

En effet, après dîner, il me dit gravement, ses sœurs étant toutes là :