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MOLL FLANDERS

prendre pour femme après qu’il m’eût conquise pour maîtresse ; et jusqu’ici, en vérité, quoique je dise que j’y pensais souvent, toutefois je n’en prenais pas d’inquiétude car il ne semblait pas le moins du monde perdre de son affection pour moi, non plus que de sa générosité ; quoique lui-même eût la discrétion de me recommander de ne point dépenser deux sols en habits, ou faire la moindre parade, parce que nécessairement cela exciterait quelque envie dans la famille, puisque chacun savait que je n’aurais pu obtenir ces choses par moyens ordinaires, sinon par quelque liaison privée dont on m’aurait soupçonnée sur le champ.

J’étais donc dans une grande angoisse et ne savais que faire ; la principale difficulté était que le frère cadet non seulement m’assiégeait étroitement, mais le laissait voir ; il entrait dans la chambre de sa sœur ou dans la chambre de sa mère, s’asseyait, et me disait mille choses aimables, en face d’elles ; si bien que toute la maison en parlait, et que sa mère l’en blâma, et que leur conduite envers moi parut toute changée : bref, sa mère avait laissé tomber quelques paroles par où il était facile de comprendre qu’elle voulait me faire quitter la famille, c’est-à-dire, en français, me jeter à la porte.

Or, j’étais sûre que ceci ne pouvait être un secret pour son frère ; seulement il pouvait penser (car personne n’y songeait encore) que son frère cadet ne m’avait fait aucune proposition ; mais de même que je voyais facilement que les choses iraient plus loin, ainsi vis-je pareillement qu’il y avait nécessité absolue de lui en parler ou qu’il m’en parlât, mais je ne savais pas si je devais m’ouvrir à lui la première ou bien attendre qu’il commençât.